Une langue oubliée

Il y a longtemps, dans mon enfance, j’avais pris l’habitude de penser à l’occasion dans cette même langue qu’aujourd’hui je m’efforce à retrouver, blottie qu’elle est dans un recoin de ma dédalesque cervelle. C’était le symptôme précoce d’une maladie contemporaine que J.Ballançon avait appelé “transmutation ethnique”. Le fait qu’on risque changer de nation sans s’en rendre compte, oublier la longue lignée de son sang éloigné, africain, chinois, nomade, retrouver des nouveaux et exotiques souvenirs, changer de visage et de foi et d’heure de sommeil. J’ai toujours aimé ce jeu de rôle, toujours imaginé que je pouvais “aspirer à toute culture”, sans différence, comme si j’y étais né.

Les années passèrent, et je devins de plus en plus pétrifié,  l’atlante décrépi d’une vielle maison de la ville, regardant le monde courir tout en soutenant le poids décroissant d’un ancien balcon fleuri et rouillé. La langue de mes rêves fut celle de la verte moississure des murs, et même quand je me mettais en colère, mes cris n’était pas plus terribles que le son de l’eau s’écoulant de la gouttière.

Quand la vieille maison fut enfin démolie, je gardai ma poitrine en plâtre, et me réfugiai dans les confins menaçants des ruelles mal famés.  Mon cœur battit en synchronisation avec ceux des gentils brigands que personne ne comprenait. Je coupai mes cheveux et j’effarouchai mes muscles et mes dents.  Je me promenais d’un pas leste, en mordant la lame d’un couteau, libre enfin des servitudes statuaires. Et pourtant, ma langue était plus ancienne que jamais, une langue aborigène et morte. J’étais heureux.

Mais les doux bandits, mes compagnons, prirent un par un les chemins dont ils se mouraient.

Insensiblement, l’eau-de-vie rauque de ma coupe fut remplacée par ces mots que je croyais oubliés, musicaux s’il en sont, sans commencement ni fin, les mots de la langue amoureuse de mes géniteurs, les mots dont je m’enivre en essayant de les lier de nouveau dans un sens quelconque. Ces quelques lignes n’ont donc que la cohérence pleurnicharde d’un ivrogne. Mais c’est comme pour la bicyclette: ça me revient.

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10 thoughts on “Une langue oubliée

  1. “…blottie qu’elle est dans un recoin de ma dédalesque cervelle…”

    “Je me promenais d’un pas leste, en mordant la lame d’un couteau, libre enfin des servitudes statuaires.”

    Mda. Din cand in cand, imi trece prin cap un fir de vina la adresa francezei din ce in ce mai ruginite.

    Mersi ca mi-ai adus aminte cum e acest tip de frumusetze…

    🙂 :bow:

  2. Paradoxal, deşi scris în franceză, textul aminteşte de un eseu al lui Borges despre copilăria sa dintr-o mahala din Buenos Aires. Dincolo de poartă erau gauchos, cuţitari şi primii dansatori de tango, dincoace – un copil care citea “Comoara din insulă” şi “Primii oameni în Lună”. O fi şi asta o dovadă că lumile sînt multe, dar Biblioteca e una singură. 🙂

  3. Da.

    Intr-adevar, scena cu adevarat tragica la care am asistat pe acele vremuri a fost demolarea vreunei case din vechea mahala. Mi s-a intimplat de vreo doua sau trei ori. Cred ca asta a fost unul din factorii principali care au facut ca in ziua de azi sa vorbesc alta limba, chiar daca nu la fel de melodioasa ca franceza.

    Si Vlad, inteleg ca merge mai bine pe bicicleta?

  4. Raluca Hippie: oui. Carne de pui.Mămăliga-n cui.

    Domnule Florin Pîtea, suntem onoraţi de vizita dumneavoastră! Hm, da, poate şi Mahalaua e una singură.

    Pinocchio, (n-)ar trebui să vezi ce se întâmplă azi, prin cartier. Luna şi demloarea.

  5. “La langue de mes rêves fut celle de la verte moississure des murs. ”
    îmi place asta deși mi-e greu să îi simt sensul.
    nu știu de ce mă întristează așa că scrii în franceză. ca și cum ar fi ceva care se termină.

  6. Zidurile erau linse de o limba verde ca muschiul. Si limba aia mai si vorbea si ii povestea lui Vlad la ureche ceva ce el percepea ca pe un vis. Eeeeeeh? 🙂

  7. Ciudat, Simina, cred că sentimentul tău e extrem accurate, cum zic englejii. Deh, fetele sunt perspicace.
    Pinocchio: 🙂

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