L’Atlante

J’ai beaucoup d’amis et pas pour longtemps. Tout le monde, paraît-il, s’en va quelque part. D’aucuns s’en vont en Amérique, d’aucuns deviennent des professeurs universitaires, d’aucuns marchent sur la Lune, d’aucuns se noient au désespoir. Il y en a qui vendent des fleurs au marché du coin, ceux-là, je les vois plus souvent, je les aime plus souvent, j’ai parfois l’impression merveilleuse qu’ils ne vont nulle part. Ainsi en est-il de la grosse gitane au cheveux blancs. Mais je sais, de l’expérience, qu’elle aussi va quelque part. De même, pour le chat boiteux qui dort sur le balcon, dont le ronflement rétentit au loin, peut-être plus loin que mes yeux puissent voir.
Moi, j’y suis né et j’y reste. Cependant, mes amis voyageurs, n’allez pas croire que mon coeur ne saigne, que je ne sois pas amoureux la plus part du temps, que mes épaules ne soient pas fatiguées, que la pluie ne me flanque aucun rhume, que les morceaux qui me tombent du corps ne me fassent pas mal. Et surtout, n’allez pas croire que mes yeux n’eussent pas voulu embrasser les horizons qui vous attirent incessament, que je sois ici tout le temps, et jamais là-bas avec vous, ami mortels, souvenez vous de vos rêves, ceux que vous emportez avec vous, en Amérique, au fond de l’Océan, dans l’Espace, à l’hopital, au cimetière, dans la valée des pleurs, près de vos bien-aimés, au Disneyland, à la cérémonie des prix Nobel, sur l’autoroute, à un bout ou à l’autre du flingot ou de la corde, au bout du souffle, au pique-nique, à la plage, sur la table des jeux, à l’affreux Lido, entre vos pages, j’y suis aussi, et même dans les rêves de vos enfants et de vos petits enfants, qui ne comprendront rien, qui est ce barbu en plâtre, quelle est cette ruelle, auquel bout du monde, et qui est la grosse dame brune au cheveux blancs derrière l’éventaire plein de fleurs?

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